Interview avec Aurélia Demarlier

Publié le 26 juillet 2025 à 13:54

À travers cette rencontre exclusive, Aurélia Demarlier nous ouvre les portes de son univers littéraire, entre émotions brutes, réflexions profondes et regards sincères sur la théorie des cœurs bunkers. Sans plus tarder, découvrons ensemble ce qu'elle a choisi de partager avec nous.

1. Qu’est-ce qui t’a inspiré l’image du “cœur bunker” ?Est-ce une métaphore que tu portes depuis longtemps ?

Cette métaphore est très ancienne. La première fois que les mots « cœur bunker » sont apparus, c’était dans un poème écrit à l’âge de vingt ans qui disait « Bien à l’abri dans son bunker, mon cœur a traversé des années de guerre. Blasé, il regarde ma vie s’effondrer. Et sourit d’être le seul à résister. » Et ça se terminait par « Quand la douleur est trop brutale, on s’invente un cœur de métal », qui est la première phrase du résumé de la Théorie des cœurs bunkers.

2. As-tu, toi aussi, déjà ressenti ce besoin de “fermer” ton cœur à un moment de ta vie ?

Oui, très souvent. Je suis hypersensible et je pense qu’on peut en arriver à fermer son cœur précisément parce qu’il s’exprime trop et qu’on ne parvient pas à gérer ce surplus d’émotions. Pour moi, les gens qui se fabriquent un cœur bunker sont loin d’être des personnes dénuées de cœur, mais parfois c’est un moyen de survie, d’adaptation sociale. Ce n’est pas toujours une mauvaise chose d’avoir un cœur bunker, mais l’idéal serait de pouvoir l’ouvrir aux bonnes personnes.

3. Pour toi, qu’est-ce qui différencie un cœur bunker d’un cœur brisé ?

Un cœur brisé ne va pas faire du mal aux gens, il va se refermer sur lui-même, tel un escargot dans sa coquille, le temps de guérir de sa peine. Alors qu’un cœur bunker ressemble plutôt à un bulldozer qui détruit tout sur son passage. Dans le roman, Elsa manque clairement d’empathie, elle sort avec des garçons et les jette sans s’inquiéter du mal qu’elle fait. Car pour elle, tout le monde doit s’endurcir.

4. Est-ce qu’écrire ce roman a changé ta manière d’aimer ?

J’ai commencé ce roman car j’étais moi-même sortie avec un cœur bunker. Et cela m’avait ôté toute naïveté quant à l’amour, j’avais l’impression d’avoir changé, je ne supportais plus la moindre scène romantique (ça devenait très difficile d’ailleurs de lire ou de regarder la télé car l’amour est omniprésent dans notre société). Je me posais beaucoup de questions, je me demandais qui avait raison, l’amour était-il une chose importante ou fallait-il le mépriser parce qu’il ne sert à rien à part à nous faire souffrir ? J’ai grandi avec Elsa, ce roman a apporté des réponses à mes questions. Et donc oui, à la fin de ce roman, je me sentais moins fermée dans ma manière d’aimer.

5. Elsa est un personnage à la fois caustique, lucide, mais aussi très tendre. Qu’as-tu voulu transmettre à travers elle ?

Je voulais un personnage fort, avec du caractère, différent de ce qu’on voit habituellement dans les romances où les filles sont souvent douces et gentilles tandis que ce sont les garçons qui ont le cœur dur. Elsa a l’air froide au premier abord mais, quand on apprend à la connaître, on parvient à la comprendre. C’est une façon de montrer que même les gens qui ont l’air distants, sûrs d’eux, ont aussi leurs failles. Pour moi, Elsa incarne une forme de liberté, elle fait ce qu’elle veut, quand elle veut. Elle ose penser différemment de ce que la société attend d’elle.

6. Quelle scène ou passage du roman t’a paru le plus difficile à écrire ?

Pour la version papier, mon éditeur m’a demandé de rajouter des scènes par rapport à la version disponible sur wattpad. Il s’agissait de développer la relation entre Elsa et Laslo. Ce n’était pas facile alors que le roman était terminé depuis un an et que je travaillais sur un autre projet. C’était donc un défi, d’autant plus qu’il s’agissait de montrer la bonne partie de leur relation et que je trouve ça plus facile d’exprimer ce qui est compliqué que ce qui se passe bien. Mais finalement ça a été plus facile que ce que je pensais. Mes personnages avaient encore des choses à dire.

7. Et à l’inverse, quel passage a coulé comme une évidence sous ta plume ?

Le premier chapitre dans le parc. Je l’ai écrit d’une traite, c’est inspiré d’un moment réel. J’essayais de dire au revoir à quelqu’un et je n’y arrivais pas, ce qui teintait chacun de nos rendez-vous d’une sorte de nostalgie douloureuse.

8. Comment as-tu construit la structure du roman ? Y a-t-il eu un plan précis ou une écriture plus instinctive ?

J’écris de façon instinctive, donc la plupart des passages sont spontanés. Je ne fais jamais de plan ni de structure, je n’ai aucune organisation. Après souvent je me retrouve avec des tonnes de brouillons qu’il faut agencer comme les pièces d’un puzzle et combler les trous entre certaines scènes. Il y a beaucoup de travail pour obtenir un tout cohérent, abouti.

9. On sent beaucoup de références philosophiques dans le texte (Nietzsche, Hume, Durkheim…). Peux-tu nous parler de leur place dans ton écriture ?

J’ai un master en philosophie, c’est pour cela qu’il y a beaucoup de référence aux philosophes.

10. As-tu une phrase du roman qui, selon toi, résume tout ?

« J’avais appris à dire au revoir. C’était ma leçon à apprendre. »

Elsa se construit un cœur bunker parce qu’elle a appris que tout est éphémère dans la vie et qu’il vaut mieux ne pas s’attacher. Parce que toutes les histoires d’amour ont une fin.

11. Ton roman ne ressemble à aucun autre Young Adult. As-tu eu des influences littéraires ou cinématographiques particulières pour ce projet ?

Aucune, je ne fais que ce qui me ressemble.

12. Tu abordes la santé mentale, les pressions sociales, le féminisme, l’écologie… Comment arrives-tu à faire cohabiter toutes ces thématiques dans une fiction ?

J’aime bien que les gens apprennent des choses en me lisant, ce n’est pas vraiment calculé. Mais j’écris aussi des romans pour faire réfléchir, m’exprimer sur différents sujets que je trouve importants.

13. Penses-tu que notre génération se protège plus qu’elle n’aime ?

Oui, je pense que l’amour est devenu un produit de consommation comme un autre.

14. Quelle place donne-t-on, selon toi, aux sentiments profonds dans une société qui va vite et qui fuit l’ennui ?

Je pense qu’il ne faut pas généraliser et qu’il y a encore des humains qui accordent de l’importance aux sentiments. Mais j’ai l’impression qu’il y a comme une réaction en chaîne, telle que je la décris dans le roman. Plus on rencontre des personnes dont le cœur est fermé, plus on ferme le sien. Plus les gens nous traitent mal, plus notre empathie diminue. J’ai l’impression qu’on se construit tous ensemble un cœur bunker. Parfois il suffit de rencontrer quelqu’un qui ose briser l’armure, se montrer tel qu’il est, avec ses failles et son désir d’être aimé, pour qu’on ose aussi mettre notre armure de côté.

On est dans une société où on ne veut pas paraitre vulnérable. Et parler de sentiments, c’est être vulnérable.

15. Si Elsa devait définir l’amour contemporain en un seul mot… quel serait-il ?

Ephémère. Illusoire. Dangereux. (Désolée, ça fait trois mots.)

16. Le titre du roman est très fort. Comment les lecteurs y ont-ils réagi ? T’ont-ils confié leurs propres "bunkers" ?

Oui, effectivement, les lecteurs se confient à moi sur leurs propres histoires, et ça fait plaisir, j’ai l’impression qu’ils se sentent en confiance et proches de moi parce que l’histoire résonne en eux. Je remarque aussi que ce titre attire un public masculin (ce qui n’est pas forcément le cas de mes autres romances), je crois que l’idée de cœur bunker parle beaucoup aux hommes, parce qu’on a tendance à attendre d’un homme qu’il cache ses émotions.

17. Y a-t-il une réaction de lecteur ou lectrice qui t’a particulièrement marquée ?

Il y a beaucoup de gens qui me disent que ce roman leur a fait du bien, les a aidé à se comprendre. Je me souviens particulièrement du commentaire de quelqu’un qui n’était pas très bien au moment où il a commencé le roman et, après l’avoir fini, il m’a dit se sentir mieux. Pour moi, ça vaut tout l’or du monde.

18.Quelle est la chose la plus précieuse que tu aimerais que les gens retiennent de toi après avoir lu La Théorie des cœurs bunkers ?

La théorie des cœurs bunkers délivre un message de bienveillance, envers son propre cœur et envers celui des autres. Ce n’est pas parce qu’on a été déçu qu’on est obligé de se barricader et de faire souffrir les autres. Les choses peuvent évoluer dans la vie.

19. Comment a évolué ton rapport à l’écriture depuis ton tout premier texte jusqu’à ce roman ?

Je ne pense pas que mon rapport a l’écriture a changé, je m’inspire toujours de mes émotions, de ce que je vis. Mais chacun de mes romans est différent parce que moi-même je change. Peut-être que dans mon tout premier roman, il y avait quelques longueurs, maintenant j’ai appris à renoncer à certains passages, à ne pas en faire trop.

20. As-tu un rituel ou une manière bien à toi de te lancer dans un projet d’écriture ?

Non, c’est mon cœur qui décide. Mais j’ai tendance à m’isoler du monde extérieur pour mener à bien un projet.

21. Si tu pouvais glisser un conseil à un jeune auteur ou autrice qui écrit avec un "cœur bunker", que lui dirais-tu ?

Puise au fond de ton cœur ce qui n’appartient qu’à toi, c’est ça qui touchera les gens. Tu peux garder ton cœur bunker dans la vraie vie, mais rien ne t’empêche de le laisser se refléter sur une feuille de papier. Ça te fera peut-être même du bien. Et si tu n’as pas envie d’explorer tes émotions, invente des univers parallèles, tu peux écrire un récit plus fantastique. J’ai fait ça d’ailleurs à l’époque où mon cœur était fermé. J’ai écrit un roman avec un robot qui a très bien marché.

22. Et pour finir… crois-tu que l’amour peut vraiment désarmer un bunker, ou faut-il l’ouvrir soi-même ?

Je pense que si on ne veut vraiment pas aimer, on ne tombera jamais amoureux. Mais il y a des personnes qui vont attaquer un peu le métal, le fragiliser. Et puis c’est à nous de décider si on sort les chalumeaux pour ressouder la brèche ou si on ouvre la porte et qu’on prend le risque d’aimer.

Le mot de la fin.

Si vous rencontrez un cœur bunker, ne tentez pas d’en briser le cadenas. Un cœur bunker, ça s’apprivoise en douceur, ça ne se force pas.

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